Pensées intérieures d’une skippeuse – Laurence Richand

Punaise, que je suis fatiguée ! Mais bon, je me suis engagée à driver l’équipage pour cette Rose des Vents-Femmes à la Barre, je ne vais pas leur faire faux bond au dernier moment. Allez, bouge-toi ça va le faire, la météo s’annonce clémente, peu de vent et de la pluie. Ça c’est dommage mais au moins on ne brûlera pas sous le soleil. On devrait passer un bon moment, les filles sont impatientes et même si elles sont encore en phase d’apprentissage, elles sont ultra motivées et dynamiques. Et puis, je ne suis pas seule à connaître le bateau, 2 équipiers d’expérience se sont joints à nous. Ça c’est cool, peut-être pourra-t-on sortir le spi si les conditions le permettent.

Pour l’auto-motivation, c’est fait !

J’ai chécké le bateau, les voiles sont à bord, j’ai testé le nouveau moteur et la barre qui va nous faire développer une belle musculature des épaules…

Ne pas oublier la cohésion d’équipe. Je regroupe tout mon petit monde et fais les présentations. Et puis, il me faut déléguer la préparation du bateau pendant que je suis occupée sur ces sempiternelles inscriptions tardives.

Allez, Go, j’embarque ! Le bateau est prêt, je fais un petit tour pour vérifier les « détails » : écoutes bien passées dans les chariots, drisse de GV bien passée entre ces satanées bastaques, nœuds de 8 en bout d’écoutes, chemin des écoutes de spi respecté, c’est bon après un petit brief sur la montée de la GV et la distribution des rôles pendant cette phase, on appareille.

Effectivement, il va falloir faire quelque chose pour la barre, espérons que sans le moteur, uniquement à la voile, elle soit plus souple.

La procédure de départ est lancée, au bas mot : 3 nœuds de vent, fan !, si ça se lève pas, la journée va être longue….Ca commence bien, on n’entend pas le top départ, bon heureusement qu’on a le visuel des drapeaux. D’entrée de jeu, la flotte se divise, qui part au large, qui va plutôt à la côte. Moi ? Heu en vérité, je n’ai pas de tactique bien définie si ce n’est de suivre le tout petit souffle qui permet aux voiles de ne pas pendouiller lamentablement. Vent de face qui s’en va faire un tour par l’arrière et puis revient devant, se met sur notre tribord, on va droit sur la côte, un petit refus, on vire. Rebelote, le tournevire du vent met à mal notre patience. Concentrée, Lolo, reste concentrée, y’a que ça qui va te permettre de te maintenir dans la course. Parce qu’en fait, on n’est pas si mal placés, on est même très bien placés. Ça mobilise mes troupes, on ne lâche rien.

La barre, vous allez me demander ? Pas trop l’esprit à m’occuper de sa résistance mais bon, à bien y penser, oui effectivement, elle est plus souple sous voile mais franchement c’est pas top, l’impression de perdre de sa sensibilité et de sa réactivité…ne pas se déconcentrer à cause d’elle, l’important c’est de maintenir mes voiles gonflées.

Le vent a encore tourné. Spi ? Pas spi ? Les autres bateaux galèrent un peu avec ce vent changeant. Je diffère la montée du spi, je préfère un génois porteur qu’un spi qui merdoie.

 

La ligne d’arrivée approche, si on continue comme ça on la passera les premiers. Malgré tout, 2 bateaux nous rattrapent, allez, zou, on lance le spi. Je craignais un peu aussi, faut bien l’avouer, des manœuvres hasardeuses, mais mes équipiers gèrent au top. Et c’est top oui, le sourire est sur les visages de tout mon petit monde. Malgré tout, ça ne suffit pas. Les 2 concurrents nous coiffent au poteau. C’est pas grave, mon équipage est content, c’est ce qui compte et m’importe. De mon côté, je suis assez fière de notre place, pour une première pour moi, c’est plutôt pas mal je trouve. Bon, un peu d’autosatisfaction ne fait pas de mal à Narcisse et permet de maintenir la motivation de l’équipage malgré ces conditions difficiles. Bref, jolie première manche.

Que va nous réserver la seconde ?

On se balade pendant la « pause déjeuner », on répartit à nouveau les postes, on change de barreuse. A toi de Jouer Faustine ! Dans tout ça, notre absence de concentration est telle qu’on se retrouve à dache pour le 2ème départ dont la procédure vient d’être lancée. Puis-je mettre un coup de moteur pour me rapprocher ? Je ne sais plus, dans le doute, je m’abstiens, mieux vaut un mauvais départ que risquer l’élimination. En termes de mauvais départ, on se pose un peu là, c’est un euphémisme que de dire « mauvais » départ. Il est calamiteux, on passe la ligne 20 minutes après le top départ. Bon, ceci-étant, ça ne change pas grand-chose en définitive. Le « vent », mais peut-on appeler « vent » cet air d’aile de papillon ? Ne chipotons pas, le vent, donc, est encore tombé. Les bateaux partis en temps et en heure sont scotchés sur la ligne de départ, ils ne sont quasiment pas manœuvrant, seuls deux ont pu attraper une ligne de vent qui les amène sur la bouée de l’étang à laisser à bâbord. Comment se retrouve-t-on dans cette flotte ? La magie de ce bateau qui glisse sur l’eau comme l’eau sur feuille songe…

L’équipage commence à douter de mes « résolutions tactiques » : ne pas perdre le peu de vitesse que l’on a en faisant un virement de bord que semble nous imposer l’allure de 2 bateaux entre lesquels nous avons réussi à nous faufiler. Les 2 sont tribord amure, nous sommes, au milieu d’eux, bâbord amure. Est-ce possible ? J’en doute mais mon bateau avance plus vite que les 2 autres, on les dépasse même, alors, je ne me pose plus trop la question, je demande à l’équipage de ne pas bouger on maintient le cap et l’allure.

La direction du vent est plus stable que lors de la première manche mais il est aussi plus faible. Notre barreuse en second a bien compris elle et reste bien concentrée, surtout que la barre et sa dureté n’aide pas aux mouvements fins.

Nous y voilà, un bateau rattrapant nous passe sur cette bouée, on est obligé de s’en éloigner un peu pour respecter les règles de course, il est prioritaire. Mais à notre tribord arrive Col’Vento. Enfin, bon ! Arrive, c’est un bien grand mot aussi. Il perd complètement le vent, ses voiles sont vides, il n’avance plus et c’est comme ça, qu’on vire notre bouée. Toujours un petit coup de stress pour moi quand les bateaux sont si proches. Souvenirs douloureux d’un abordage intempestif il y a quelques années.

Allez, ne pas communiquer ce stress à mes équipiers, j’éloigne ces souvenirs et me reconcentre sur ma course. On se dirige sur la ligne d’arrivée. Un petit coup de spi à nouveau. On a fait une belle remontada, et après être partis les derniers, nous arrivons en 5ème position sur une flotte de 12 bateaux.

Pareil que pour la première manche, malgré ce départ bien foireux, on peut être fier de nous.

L’absence de vent est telle que le comité de course décide de décaler la flotte sur le nord, histoire de voir si on toucherait plus d’air là-haut pour pouvoir lancer une 3ème manche. Moteur en route, on file comme des flèches. Franchement ce nouveau moteur, il dépote !

Après quelques tergiversations, le comité décide de renoncer à lancer un nouveau départ.

Pourtant, le vent arrive, et pas qu’un peu. La ligne de vent du nord s’approche à grande vitesse, ça moutonne pas mal. Je prends la décision de prendre un ris, ça va secouer un peu.

Dont acte et bien nous en a pris. 5, puis 10 puis 18/20 nœuds, ça décoiffe, ça gîte. Mais la mer est plate, c’est plutôt pas mal. On est un peu surtoilés devant mais on ne peut pas changer de voile, le point d’amure du génois est bricolé et ne permet pas un changement rapide de voile. On reste comme ça. Ça tient quand même, le bateau n’est pas trop ardent.

Rose des Vents 2023

On tire des bords pour nous rapprocher du port. Nous voilà tribord amure, je demande quand même au numéro un de vérifier si le plan d’eau est clair, une fois suffit pour moi…Il me dit que tout est ok. On file donc. Tout à coup, je vois une tête de mât sur notre bâbord au-dessus de notre GV. On va s’aborder, pas le temps de tergiverser et d’expliquer le quoi du comment, je lance un ordre de virement d’urgence, pourvu que ça suive aux bastaques… ça cafouille un peu, les bastaques un peu en retard mais ça a tenu. On n’a pas touché, l’autre bateau a viré lui aussi. On a frôlé la catastrophe de l’abordage. Je laisse redescendre mon adrénaline montée en flèche et l’équipage reprendre ses esprits. Et puis il faut se reconcentrer très vite, le vent ne faiblit pas, on commence à être fatigués, faut rentrer au port.

Nous y voilà.

Rentrer le bateau à sa place, c’est mon souci du moment. Il faut aller faire demi-tour au fond du port. Je ne l’ai jamais fait toute seule. Vais-je m’en sortir si une rafale de vent nous prend par le travers ?

Bon, le vent est sympa et me laisse faire ma manœuvre tranquille. Nous voilà amarrés. Une journée de navigation compliquée qui laissera des bons souvenirs, je l’espère, à mon équipage, surtout aux « nouvelles ».

Pas trop le temps de prendre les humeurs de chacune et chacun, il faut préparer la remise des prix, la soirée…place aux festivités maintenant !

Lolo, une skippeuse pleine de pensées intérieures !

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